Le naufrage de la ’’ MATILDA ’’.
Histoire racontée par GHISLAIN Houzel
(Dans la dépêche de Tahiti du Samedi 29 Janvier 1994)
Près de 25 années après sa découverte fortuite, le 11 Juillet 1767 par le navigateur anglais Philip CARTERET, l’atoll de MURUROA fut le théâtre d’un événement très important qui eut un impact énorme sur l’histoire de TAHITI.
Ce naufrage, qui n’aurait pu être qu’un bref épisode de l’histoire fort longue de tous les navires disparus dans le Pacifique Sud depuis MAGELLAN mérite certainement d’être raconté en détails car la très forte personnalité des hommes qui en furent victimes ou acteurs et surtout l’impact énorme qu’il eut sur l’histoire même de TAHITI le place de toute évidence au niveau des plus grandes aventures de la mer.
Pour bien comprendre les faits, il est nécessaire de rappeler le contexte très particulier dans lequel ceux-ci se déroulèrent.
En 1790, pour affirmer son écrasante suprématie maritime, le gouvernement britannique orientait alors sa politique sur 3 grands objectifs :
· Continuer les missions d’exploration initiées par WALLIS et COOK,
· Essayer de faire oublier la malheureuse affaire du BOUNTY : Mutinerie et échec de la première mission BLIGHT,
· Implanter le plus rapidement possible missionnaires et colons dans les terres nouvellement découvertes.
Par GHISLAIN Houzel
- George VANCOUVER, ancien officier de COOK, se vit donc confier une nouvelle et très grande expédition dont le but était de parachever durant 4 années l’exploration de la nouvelle-Galles du sud (AUSTRALIE), de la NOUVELLE-ZELANDE, de TAHITI et des îles du pacifique, et surtout de la côte occidentale de l’AMERIQUE du NORD. Il reçu à cet effet le commandement de deux navires : le « DECOUVERTE » et le « CHATAM ». De plus, quelques jours avant son départ, l’amirauté lui fit part de l’instruction suivante : Un navire de soutien, le « DEDALE », chargé de vivre et de bétail pourrait lui venir en aide le cas échéant. Ce navire l’attendrait soit à PORT JACKSON en AUSTRALIE, soit à MONTERREY, sur la côte occidentale de l’AMERIQUE du NORD. L’expédition VANCOUVER quitta l’ANGLETERRE en Janvier 1791.
- Parallèlement, le fameux Capitaine BLIGH qui à la suite de toutes ses mésaventures avec le « BOUNTY » avait été accueilli en héros et promu au grade de Commandant se vit confier la responsabilité d’une deuxième expédition vers TAHITI. On lui demandait la même chose que lors de sa première mission ; C’est à dire de ramener des plants d’arbre à pain ; Mais à son retour il devait en outre cartographier en détail le détroit séparant l’AUSTRALIE de la NOUVELLE-GUINEE et surtout aller déposer dans les ANTILLES BRITANNIQUES les précieux plans d’arbre à pain. Echangé par sa précédente ********, BLIGH demanda 2 navires ; Sa requête fut accordée et en Juillet 1791 il quitta l’ANGLETERRE avec le « PROVIDENCE » et « l ‘ASSISTANT ». La colonisation des terres découvertes n’était pas une mince affaire .Ainsi, en 1786, le gouvernement de sa gracieuse Majesté prit la décision autoritaire de transférer en AUSTRALIE une partie de la population carcérale qui encombrait les prisons.
A ce titre anecdotique, signalons que de 1787 à 1868 il y eut un total de 158.700 prisonniers ainsi transférés.
- C’est en 1787 que les 5 premiers navires spécialement équipés par ce type de transport prirent la mer en direction de PORT JACKSON. En 1789 ils furent suivis par 3 autres, et en 1791 par 5 autres navires dont la « MATILDA ».
Chasseurs de baleines.
Les archives de l’époque nous apprennent que la « MATILDA » fut construite en France en 1779 et affrété ensuite par les anglais. C’était un navire de commerce jaugeant 460 tonneaux et aménagé pour percevoir le plus possible de bagnards. Le capitaine Matthew WEATHERHEAD, personnage dont nous reparlerons souvent au cours de ce récit en prit le commandement. L’équipage comprenait au total 28 marins dont un médecin chargé de veiller à la bonne santé des forçats : Il était en effet souhaitable que ceux-ci n’arrivent pas en trop piteux état en AUSTRALIE après 3 ou 4 mois passés en mer…
En plus d’un important stock de vivres, la « MATILDA » fut équipée avant son départ d’un armement propre à sa défense à savoir : Plusieurs canons, et surtout des fusils, des pistolets et des sabres qui furent attribués aux gardiens chargés d’escorter les bagnards.
Matthew WEATHERHEAD sollicita en outre de son armateur la EAST INDIA COMPANY, l’autorisation de pouvoir chasser la baleine après avoir déposé les forçats à PORT JACKSON. Sa demande fut agréée ; Il chargea donc à bord de la « MATILDA » des harpons et des chaudrons destinés à faire fondre la graisse de baleine et à recueillir l’huile. Un certain Mark MUNROE commandant un navire marchand appelé la « MARY ANN » obtint la même autorisation ; Sa mission préalable était de convoyer vers PORT JACKSON non pas des forçats, mais 150 femmes !… Entendons nous bien, il s’agissait évidemment de 150 « roulures » extraites des plus bas fonds des prisons britanniques. Il fut donc convenu que leurs convoyages terminés, la « MATILDA » et la « MARY ANN » se retrouveraient à PORT JACKSON pour chasser la baleine.
Les deux navires partirent de PORTSMOUTH. La « MARY ANN » le 17 février 1791 et la « MATILDA », avec un total de 280 bagnards, le 1er avril 1791, imaginons quelques instants les conditions épouvantables de ces voyages : entassés dans la cale, les forçats souvent enchaînés vivaient dans la saleté et la promiscuité totale, une fois par jour, et sous escorte armée ils étaient conduits sur le pont pour respirer un peu d’air frais. Nourriture et boisson étaient juste suffisantes ; Très vite le scorbut faisait son apparition.
Pour gagner PORT JACKSON, WEATHERHEAD suivit la route classique à l’époque consistant à descendre l’ATLANTIQUE jusqu’au CAP puis à rejoindre l’AUSTRALIE en traversant d’OUEST en EST le SUD de l’océan indien. Homme très dur, il imposa à son équipage de naviguer le plus vite possible, ceci afin de rattraper le « MARY ANN » partie 6 semaines avant lui. Cela ne se fit pas sans casse ; D’abord pour les malheureux forçats dont 10 moururent entre PORTSMOUTH et le CAP et 15 entre le CAP et PORT JACKSON, ensuite pour la « MATILDA » qui arriva à PORT JACKSON avec de nombreuses voies d’eau qu’il fallait réparer d’urgence.
7.000 km à travers le PACIFIQUE
A l’époque, la durée totale de ce voyage, soit 127 jours fut considérée comme un véritable record car les navires mettaient fréquemment 5 mois et plus pour gagner l’EST de l’AUSTRALIE.
Forçats débarqués et réparations effectuées, la « MARY ANN » et la « MATILDA » commencèrent dès le mois de septembre 1791 à arpenter la côte AUSTRALIENNE à la recherche des précieux cétacés. Peine perdue, car après deux mois de vaines tentatives, WEATHERHEAD et MUNROE n’avaient pas réussi à harponner une seule baleine. Nos deux capitaines prirent alors la décision surprenante d’aller tenter leur chance ailleurs… et ailleurs ce n’était pas la porte d’à côté car leur choix se porta sur la côte Péruvienne c’est-à-dire sur l’autre rive du PACIFIQUE à près de 7000 kilomètres de PORT JACKSON ! En fait les côtes du PEROU étaient déjà réputées comme très riches en cétacés et s’ils arrivaient à attraper quelques baleines WEATHERHEAD et MUNROE étaient assurés de pouvoir vendre à prix d’or toute l’huile obtenue dans les colonies ESPAGNOLES et NORD AMERICAINES.
En Décembre 1791, la « MATILDA » suivie de la « MARY ANN » quitta donc PORT JACKSON à destination du PÉROU. L’île de TAHITI étant à mi-chemin, les deux capitaines décidèrent de faire étapes en ce lieu où ils pourraient embarquer des vivres frais. L’équipage de la « MATILDA » comptaient 28 marins au total ; Mais quelle ne fut pas la surprise de WEATHERHEAD lorsque deux jours après le départ, un bagnard évadé fut découvert à bord ; C’était un JUIF appelé Samuel POLLEND qui implora grâce. Ne voulant pas perdre de temps en revenant vers PORT JACKSON pour le livrer aux autorités, WEATHERHEAD fit preuve de beaucoup d’indulgence et accepta de l’intégrer à l’équipage.
Les deux navires arrivèrent à TAHITI le 14 FÉVRIER 1792. Ils jetèrent l’ancre en face de TAUTIRA sur la presqu’île de TARAVAO et furent accueillis avec respect et déférence par la population locale qui leur fournit avec abondance des fruits, des légumes et des cochons noirs. Ils ne restèrent à TAHITI que 2 jours et demie. Avant de quitter l’île le 17 FÉVRIER, WEATHERHEAD et MUNROE décidèrent de ne plus naviguer à vue l’un de l’autre mais de se retrouver au large de la côte péruvienne à la latitude 10° SUD. Ils avaient encore une bien longue étape à parcourir, étape que la « MATILDA » ne terminera jamais car par la nuit sans lune du 25 FEVRIER 1792 une immense secousse ébranla tout le navire. Il venait de heurter un récif.
Réveillé en sursaut, l’équipage se rua dans la cale pour colmater les brèches par lesquelles l’eau s’engouffrait en cascade ; Mais il était déjà trop tard et il fallut se rendre à l’évidence que la « MATILDA » qui s’était écrasée contre des rochers ne pouvait plus être sauvé. A l’aube le spectacle se révéla désolant et les lieux du naufrage apparurent tout à fait inhospitaliers : Il n’y avait à perte de vue que des récifs et quelques terres très basses qui semblaient inhabitées. L’ensemble paraissait s’étendre sur une quinzaine de kilomètres.
1.200 Km en chaloupes
Sans perdre un instant, WEATHERHEAD releva les coordonnées du lieu : 22° SUD, 130°45’ W. Il fit ensuite dégager 4 chaloupes qui furent chargées tant bien que mal avec les vivres et l’eau douce récupérer sur l’épave. Quelques armes purent aussi être sauvées : 5 ou 6 fusils, 3 pistolets, 3 sabres et des munitions. A dix heures du matin, les 29 marins se répartirent dans les 4 chaloupes et donnèrent leurs premiers coups de rames pour tenter de regagner TAHITI au plus vite. Ils étaient bien loin d’imaginer que ce lieu accidentellement découvert prendrait un jour place dans l’histoire : Il s’agissait en effet de l’atoll de MORUROA
Le temps fut certainement très clément durant cet audacieux périple car les 4 chaloupes réussirent à rester groupées pendant 1.200 Kilomètres, c’est-à-dire depuis MORUROA jusqu’à la petite île de MEHETIA qui est située à 50 kilomètres de TAHITI. Les naufragés de le « MATILDA » ne mirent que 8 jours pour faire ces 1.200 kilomètres à la rame ! Si l’on songe aux conditions matérielles qui étaient les leurs et surtout à l’angoisse qui devait étreindre ces hommes perdus en plein Océan Pacifique, il faut saluer cette extraordinaire performance comme un véritable exploit historique.
Ils ne restèrent qu’une seule nuit à MEHETIA, et dès le 5 MARS ils reprirent leur route vers TAHITI ; Mais dans la soirée du même jour alors qu’ils étaient sur le point d’arriver, un violent coup de vent dispersa les chaloupes qui se perdirent de vue. Leur arrivée à TAHITI le 6 MARS au matin se fit dons de façon très dispersée ; 2 chaloupes accostèrent sur la plage de MATAVAI, une autre à PUNAAUIA et la dernière à TAUTIRA.
Immense fut l’étonnement des tahitiens lorsqu’ils virent revenir dans un tel état WEATHERHEAD et son équipage. En effet, jusqu’à ce jour, tout navire qui arrivait à TAHITI leur imposait une formidable impression d’invulnérabilité. Les marins qui descendaient à terre étaient souvent vêtus d’uniformes. Ils portaient des sabres et surtout des armes à feu, capable de donner la mort instantanément et à distance…Or le 6 MARS 1792, les tahitiens virent sortir de 4 petites chaloupes des êtres loqueteux et affamés qui se laissèrent capturer sans opposer la moindre résistance. Les 20 naufragés se virent immédiatement dépouillés de toutes leurs affaires et de leurs armes par la population locale qui les traita toutefois avec respect, ne leur fit aucun mal et les laissa ensuite en liberté.
Moins d’une semaine après leur arrivée, ils réussirent à tous se regrouper à MATAVAI. C’est là qu’ils assistèrent impuissants aux incroyables bouleversements que leur arrivée inopinée était en train de provoquer. Apprenant en effet que POENO le chef de MATAVAI avait réussi à faire main basse sur les armes à feu des naufragés, les chefs des districts voisins furent extrêmement jaloux et lui déclarèrent la guerre. Ils y eut de sanglants combats ; Le district de MATAVAI fut complètement incendié et les arbres fruitiers arrachés. En peu de temps, toute l’île fut en effervescence.
Craignant pour leur vie, les naufragés de la « MATILDA » se mirent sous la protection de OTOO, le chef suprême de l’île et ancêtre de la dynastie des POMARE ; Mais OTOO avait bien du mal rétablir la paix. Toutefois, le 25 MARS les troubles et les combats s’arrêtèrent instantanément car ce jour-là une goélette anglaise arriva dans la baie de MATAVAI. C’était la « JENNY » un petit navire qui se dirigea vers l’AMERIQUE du NORD en faisant une halte à TAHITI. Ce prétendu navire de commerce n’était en fait qu’un vulgaire pirate commandé par un certain BAKER qui, lorsqu’il abordait une île isolée, n’hésitait pas à embarquer de force des femmes indigènes pour agrémenter la suite de voyage.
Rendus très inquiets par les évènements locaux qu’ils venaient d’observer, WEATHERHEAD et ses hommes demandèrent aussitôt à BAKER de pouvoir repartir avec lui sur la « JENNY ». Prétendant que son navire était trop petit, BAKER refusa, mais devant l’insistance de WEATHERHEAD il consentit finalement à embarquer 4 hommes. WEATHERHEAD s’auto désigna et prit avec lui deux musses et un matelot ; Mais ce sont finalement cinq marins de la « MATILDA » qui réussirent à s’en aller sur la « JENNY » car au dernier moment un des naufragés restant à terre se glissa subrepticement à bord.
Il est fort à parier que les 24 naufragés restant à TAHITI n’apprécièrent pas beaucoup le départ de WEATHERHEAD. En particulier, le second maître de la « MAILDA », un certain CAMPBELL fut si désappointé qu’il annonça tout net à ses compagnons d’infortune qu’il ne resterait pas 24 heures de plus sur l’île. Avec 2 autres marins il récupéra une chaloupe et l’équipa sommairement d’un mât et d’une voile de fortune ; Puis les 3 hommes embarquèrent en déclarant qu’ils allaient tenter de regagner PORT JACKSON !
Ils disparurent à tout jamais.
Avant de partir sur la « JENNY », WEATHERHEAD remit une lettre à l’un de ses compagnons restant à terre avec ordre de la remettre en main propre au commandant du premier navire de la Marine Royale Britannique qui passerait à TAHITI. Voici le contenu de cette lettre :
Sir,
Je vous demande sur cette île de bien vouloir punir un certain TABIROO. Après le malheur de mon naufrage avec la « MATILDA » et avoir passé plusieurs jours sur une chaloupe, j’ai voulu à mon arrivée à MATAVAI me mettre sous sa protection. J’avais avec moi un petit coffret contenant des papiers personnels, 407 dollars, 17 guinées et 3 ou 4 livres d’argent anglais. J’avais aussi une malle contenant mes habits. Je suis resté 6 jours chez TABIROO qui m’a ensuite mis à la porte. Il ne me reste plus qu’une chemise
Votre serviteur,
Matthew WEATHERHEAD
PS : Le Maître principal de la « MATILDA » et le menuisier vous donnera toutes les explications nécessaires que vous jugerez utiles de connaître.
La « JENNY » arriva à NOUTKA sur la côte Nord Américaine en juin 1792. Le Gouverneur Espagnol de la Région, M. DON QUADRA prit WEATHARHEAD en pitié et lui donna des habits et de l’argent pour qu’il puisse traverser le continent Américain et embarquer ensuite sur un navire regagnant l’ANGLETERRE. C’est lors de cette dernière étape que nous perdons la trace du commandant de la « MATILDA ».
Ainsi après le départ de WEATHERHEAD il ne restait plus à TAHITI que 21 naufragés qui redoutant la reprise des troubles souhaitaient l’arrivée rapide d’un navire plus secourable et accueillant que la « JENNY ». En attendant, ils essayèrent de mieux s’intégrer dans la population locale.
Heureusement pour eux, le 9AVRIL 1792, soit 10 jours à peine après le départ de la « JENNY » ils virent apparaître à l’horizon 2 magnifiques navires de la Marine Britannique : La « PROVIDENCE » et l’ » ASSITANT » commandés par le fameux Capitaine BLIGH arrivaient à TAHITI pour rechercher des plants d’arbre à pain.
Retour en ANGLETERRE
Homme de décision, BLIGH se fit expliquer par le détail toute l’histoire du naufrage de la « MATILDA » ainsi que l’incroyable retour à la rame de WEATHERHEAD et de tout son équipage. Il lut avec attention la lettre de WEATHERHEAD. Le récit des troubles sanglants qui suivirent le vol des armes à feu des naufragés l’inquiéta beaucoup et il fut très choqué d’apprendre le comportement pour le moins ambigu de BAKER le commandant de la « JENNY ». Son premier souci fut d’abord de rétablir la paix au sein de la population locale. Il exigea à cet effet que tous les biens volés à l’équipage naufragé soient restitués rapidement. Cela ne se fit pas sans difficulté ; Mais grâce à son obstination, BLIGH en fin de compte obtint satisfaction, au moins pour la plus grande partie des armes.
Il s’inquiéta ensuite du sort des 21 naufragés de la « MATILDA » encore présent à TAHITI et les reçut tous personnellement… Tous sauf un, car Samuel POLLEND, le bagnard évadé de PORT JACKSON, voyant débarquer à TAHITI le célèbre et redoutable Capitaine BLIGH préféra s’éclipser discrètement dans la montagne et se faire oublier quelques temps. Il ne voulait pas, bien évidemment, avoir de nouveau quelques comptes à rendre à la justice anglaise.
BLIGH proposa donc aux naufragés de rapatrier en ANGLETERRE tous ceux qui le désiraient ; Mais il leur dit qu’ils avaient plusieurs semaines pour réfléchir et se décider car le « PROVIDENCE » et l’ »ASSISTANT » ne quitteraient TAHITI qu’en Juillet. C’est donc en toute connaissance de cause, que quelques jours avant le départ, cinq hommes vinrent trouver BLIGH, et lui dirent que finalement ils préféraient rester. Ces 5 hommes James CONNER, James BUTCHER, Jno WILLIAMS, Wm YAATY et Andrew CORNELLIUS LIND auxquels il faut bien entendu ajouter l’ex-bagnard Samuel POLLEND firent souche à TAHITI et très nombreuses aujourd’hui sont les familles polynésiennes qui prétendent avoir parmi leurs aïeux un naufragé de la « MATILDA » !
C’est donc avec quinze marins supplémentaires que BLIGH quitta TAHITI le 16 Juillet 1792. Tous arrivèrent en ANGLETERRE après un nouveau et très long voyage d’une année qui via TIMOR et le CAP de BONNE ESPERANCE les conduisit d’abord à l’île de SAINTE HELENE, puis à la JAMAÏQUE où furent déposés les précieux plants d’arbre à pain. C’est à DEPTFORD que le périple du « PROVIDENCE » et de l’ »ASSISTANT » prit fin le 7 Août 1793.
Mais ce récit ne serait pas complet si nous n’évoquions pas la généreuse intervention de George VANCOUVER.
Cet autre grand navigateur qui commandait le « DECOUVERTE » et le « CHATAM » était en effet passé à TAHITI en Janvier 1792 peu de jours avant l’arrivée de la « MARY ANN » et de la « MATILDA ». Après cette escale et au cours de sa longue et minutieuse campagne d’exploration de la côte Nord Américaine, VANCOUVER fit halte à MONTEREY où il retrouva le « DEDALE », navire de soutien qui était chargé de lui apporter aide et assistance. C’est là qu’il appris le naufrage de la « MATILDA ». Il s’inquiéta beaucoup du sort des naufragés que BAKER le commandant de la « JENNY » avait refusé d’embarquer alors que la plus grande insécurité régnait sur toute l’île de TAHITI… Ignorant que BLIGH était heureusement arrivé à TAHITI juste après le départ de la « JENNY » il donna aussitôt l’ordre au lieutenant HANSON, le commandant du « DEDALE », de partir au plus vite vers cette île, pour récupérer, s’il en était encore temps, les naufragés de la « MATILDA ». En arrivant, HANSON apprit que quinze d’entre eux étaient repartis depuis longtemps sur les navires de BLIGH et que les six derniers avaient finalement succombé aux charmes de la Nouvelle Cythère.
Il est fort dommage qu’en 1992 le bicentenaire de ces évènements ait été oublié car le naufrage de le « MATILDA » et la guerre qui fit rage à TAHITI consécutivement à l’incroyable odyssée des naufragés sont sans conteste une page très importante de l’histoire de la Polynésie.
C’est en effet à l’occasion de ce naufrage que les tahitiens prirent pour la première fois conscience que les étrangers qui venaient de très loin avec une civilisation totalement différente de la leur, n’étaient pas invulnérable. Cet énorme choc psychologique fut encore accentué par l’arrivée soudaine et rapprochée d’un nombre considérable de navires anglais. Songeons bien que depuis la découverte de la Polynésie, 25 années auparavant, les tahitiens n’avaient pas vu passer plus de 1 ou 2 navires tous les 3 ans en moyenne. Or brusquement, entre Janvier et Avril 1792, 7 navires firent tour à tour escale à TAHITI : Le « DECOUVERTE » et le « CHATAM » de l’expédition VANCOUVER en Janvier. La « MATILDA » et le « MARY ANN » en Février. La « JENNY en Mars. La « PROVIDENCE » et l’ »ASSITANT » de la deuxième expédition BLIGH en Avril.
Un autre renseignement important mis en relief par le naufrage de la « MATILDA » mérite aussi d’être souligné. Il concerne le Capitaine BLIGH qui est souvent présenté par les médias comme un tortionnaire dont le comportement brutal fut à l’origine de la célèbre mutinerie du BOUNTY. Il est en effet indéniable à la lumière du rôle qu’il a joué en faveur des naufragés de la « MATILDA » que BLIGH n’est absolument pas l’homme sinistre que l’on a trop souvent voulu nous décrire. Au contraire, ce responsable éclairé sut faire preuve de beaucoup de bonté à l’égard de ceux qui lui demandèrent du secours.
Espérons que l’histoire rendra un jour justice à ce très grand marin.
Ghislain HOUZEL