L’histoire des affaires foncières en Polynésie.
Article d’Yves FORTUNET - Journaliste à la dépêche
du samedi 13 mai 2006 (en page 22 et 23).
De la propriété familiale à la propriété privée.
Revendication foncière
Mode d’emploi
Les affaires de terres : un vrai casse tête en Polynésie. De nombreuses familles, déchirées, souffrent de ces conflits interminables. Le juge CALINAUD a présenté l’historique de la gestion foncière en Polynésie depuis les temps anciens jusqu’à nos jours. Il a aussi rappelé les procédures à suivre, ainsi que les erreurs à éviter, lors de revendications de terres.
Les affaires de terres continuent d’empoisonner la vie de nombreuses familles en Polynésie. Le juge CALINAUD, a répondu à de nombreuses questions à ce sujet, et rappelé l’histoire de la gestion foncière en Polynésie, depuis la période pré occidentale jusqu’à nos jours.
« Ah, si l’on pouvait revenir aux temps anciens »…… Ils étaient nombreux à penser dans la salle du centre de généalogie d’Outumaoro, les spectateurs venus assister à la conférence du juge CALINAUD avec, pour la plupart, un vieux dossier de revendication foncière entre les mains. Et avec surtout une grande blessure au fond du cœur, face à des litiges inextricables, des procédures compliquées traînant pendant des années. Tout cela entraînant un immense sentiment d’incompréhension, d’injustice aussi parfois, mêlé à de la rancœur : contre les voisins, contre les occupants d’une terre, contre les membres de sa propre famille, et contre le système judiciaire et ses imperfections. Car, c’est vrai, le problème des terres en Polynésie ’’prend aux tripes’’ tous ceux qui s’y trouvent mêlés. Et aboutit presque toujours à des conflits mal compris. Avec parfois cette questions des protagonistes : ’’ Mais comment faisait, avant en Polynésie, pour gérer la terre ?’’……
Des matahiapo aux Toohitu
Le juge CALINAUD, arrivé en Polynésie en 1959 à Uturoa et qui a eu traité d’innombrables affaires foncières, a essayé de répondre à cette question jeudi soir. Simplement, avec ses moyens, et sa passion de la vie Polynésienne. Pour se rendre utile aussi, lui qui est désormais dans une retraite ….très active, puisqu’il préside LA Commission de Conciliation Obligatoire en Matière Foncière. Il a ainsi rappelé les différentes solutions mise en œuvre pour gérer les affaires de terres depuis deux siècles. Avec un constat évident : aux temps anciens, c’était bien sûr beaucoup plus facile……
Avant l’arrivée des Européens en Polynésie, les îles étaient divisées en Propriétés familiales, avec des lignées très précisément identifiées et rattachées généralement à un marae familiales. La propriété s’étendait du rivage jusqu’à la crête de la montagne (sauf pour les grandes îles comme Tahiti et Raïatea, par exemple). Les terres appartenant à tout un clan, réglementées par le matahiapo (le plus âgé de la lignée) étaient inaccessibles à des personnes extérieures – même s’il existait la possibilité de prêt ou de location. Un fragile équilibre s’établissait alors entre les clans, au gré des guerres et donc des victoires des uns et des autres.
Les bouleversements de 1887 et 1970
L’arrivée des Européens a bien sûr complètement modifié les choses. En 1819, le Roi Pomare II allié aux missionnaires, publie le premier Code des Lois, imité un an plus tard par le Roi Tamatoa de Raïatea. Ces deux codes instaurent pour la première fois des juges pour régler les problèmes fonciers. Ils seront 707 à Tahiti et Moorea, répartis en 23 circonscriptions. Ce premier code Pomare sera révisé en 1842 pour introduire une nouvelle notion : l’enregistrement des propriétaires, dans un grand ’’Livre des terres’’, une idée qui avait déjà été proposée à Huahine en 1826.
Autre innovation importante, en 1852, avec l’instauration de l’état civil en Polynésie, l’autorisation de la vent des terres, et la création d’une procédure de jugement des affaires de terres devant les conseils de districts, avec recours possible devant les to’ohitu. Mais les deux dates les plus importantes dans la gestion du problème foncier ont sans doute 1887 et 1970. Le 24 août 1887 tout d’abord, un décret rend obligatoire l’enregistrement de toute propriété foncière, faute de quoi la terre est attribuée à la colonie. Chaque propriétaire doit prouver qu’il est légitime, par sa généalogie ou son occupation des lieux, et reçoit en échange un Tomite, un titre de propriété qui a une valeur juridique aujourd’hui encore ’’Revendication foncière – mode d’emploi’’. L’ensemble des propriétaires auront alors jusqu’en 1932 pour se faire connaître et surtout se faire enregistrer ; ce fameux décret de 1887 est la clef de voûte de tout le système juridique bâti pour les affaires foncières. Car il formalise plus qu’un bouleversement, une véritable révolution dans la société Polynésienne, qui passe ainsi de la propriété familiale à la propriété privée, les terres appartenant non plus à un clan mais à un individu.
En 1970 enfin, une loi du 9 juillet applique à la Polynésie le statut civil de droit commun, avec toutes les règles en matière de succession, mais aussi de mariage, de filiation, etc…..Il n’y aura par la suite que peu de modifications à ce système juridique mis en place pas à pas, en un siècle et demi. Les différents statuts d’autonomie ont bien prévu la création de tribunaux fonciers, mais ils restent à imaginer dans leur fonctionnement. La Commission de Conciliation a été mis en place, et se réunit environ une fois par mois. Chaque plaignant qui veut porter un litige foncier au tribunal doit obligatoirement passer par cette Commission, qui essaye de trouver un arrangement à l’amiable entre les différentes parties. « Nous obtenons entre 25 et 30% de conciliation sur l’ensemble des affaires qui nous sont soumises » a précisé jeudi soir le Président de cette Commission, le juge CALINAUD. « Mais ces conciliations doivent ensuite être validées par le tribunal, sur requête de l’une des parties, ce qui est parfois un frein dans la procédure.»
En attendant d’autres réformes qui pourraient améliorer la situation actuelle des affaires foncières, les juges doivent arbitrer entre les familles déchirées, quelques fois victimes d’erreurs d’appréciations, de spoliations passées, ou d’ambitions démesurées. Car, il n’y a aucun doute à ce sujet, la Polynésie n’est plus aux temps anciens. Le rôle des matahiapo n’est plus le même face à des familles désormais éclatées ; la pression démographique sur le peu de terres habitables, l’appât du gain face à des propriétés devenues valeurs marchandes, mais aussi l’éparpillement des familles en plusieurs lits et sur plusieurs archipels font de ces affaires de terres l’un des casse têtes de la Polynésie d’aujourd’hui.
Yves FORTUNET
Article d’Yves FORTUNET - Journaliste à la dépêche
du samedi 13 mai 2006 (en page 22 et 23).
De la propriété familiale à la propriété privée.
Revendication foncière
Mode d’emploi
Les affaires de terres : un vrai casse tête en Polynésie. De nombreuses familles, déchirées, souffrent de ces conflits interminables. Le juge CALINAUD a présenté l’historique de la gestion foncière en Polynésie depuis les temps anciens jusqu’à nos jours. Il a aussi rappelé les procédures à suivre, ainsi que les erreurs à éviter, lors de revendications de terres.
Les affaires de terres continuent d’empoisonner la vie de nombreuses familles en Polynésie. Le juge CALINAUD, a répondu à de nombreuses questions à ce sujet, et rappelé l’histoire de la gestion foncière en Polynésie, depuis la période pré occidentale jusqu’à nos jours.
« Ah, si l’on pouvait revenir aux temps anciens »…… Ils étaient nombreux à penser dans la salle du centre de généalogie d’Outumaoro, les spectateurs venus assister à la conférence du juge CALINAUD avec, pour la plupart, un vieux dossier de revendication foncière entre les mains. Et avec surtout une grande blessure au fond du cœur, face à des litiges inextricables, des procédures compliquées traînant pendant des années. Tout cela entraînant un immense sentiment d’incompréhension, d’injustice aussi parfois, mêlé à de la rancœur : contre les voisins, contre les occupants d’une terre, contre les membres de sa propre famille, et contre le système judiciaire et ses imperfections. Car, c’est vrai, le problème des terres en Polynésie ’’prend aux tripes’’ tous ceux qui s’y trouvent mêlés. Et aboutit presque toujours à des conflits mal compris. Avec parfois cette questions des protagonistes : ’’ Mais comment faisait, avant en Polynésie, pour gérer la terre ?’’……
Des matahiapo aux Toohitu
Le juge CALINAUD, arrivé en Polynésie en 1959 à Uturoa et qui a eu traité d’innombrables affaires foncières, a essayé de répondre à cette question jeudi soir. Simplement, avec ses moyens, et sa passion de la vie Polynésienne. Pour se rendre utile aussi, lui qui est désormais dans une retraite ….très active, puisqu’il préside LA Commission de Conciliation Obligatoire en Matière Foncière. Il a ainsi rappelé les différentes solutions mise en œuvre pour gérer les affaires de terres depuis deux siècles. Avec un constat évident : aux temps anciens, c’était bien sûr beaucoup plus facile……
Avant l’arrivée des Européens en Polynésie, les îles étaient divisées en Propriétés familiales, avec des lignées très précisément identifiées et rattachées généralement à un marae familiales. La propriété s’étendait du rivage jusqu’à la crête de la montagne (sauf pour les grandes îles comme Tahiti et Raïatea, par exemple). Les terres appartenant à tout un clan, réglementées par le matahiapo (le plus âgé de la lignée) étaient inaccessibles à des personnes extérieures – même s’il existait la possibilité de prêt ou de location. Un fragile équilibre s’établissait alors entre les clans, au gré des guerres et donc des victoires des uns et des autres.
Les bouleversements de 1887 et 1970
L’arrivée des Européens a bien sûr complètement modifié les choses. En 1819, le Roi Pomare II allié aux missionnaires, publie le premier Code des Lois, imité un an plus tard par le Roi Tamatoa de Raïatea. Ces deux codes instaurent pour la première fois des juges pour régler les problèmes fonciers. Ils seront 707 à Tahiti et Moorea, répartis en 23 circonscriptions. Ce premier code Pomare sera révisé en 1842 pour introduire une nouvelle notion : l’enregistrement des propriétaires, dans un grand ’’Livre des terres’’, une idée qui avait déjà été proposée à Huahine en 1826.
Autre innovation importante, en 1852, avec l’instauration de l’état civil en Polynésie, l’autorisation de la vent des terres, et la création d’une procédure de jugement des affaires de terres devant les conseils de districts, avec recours possible devant les to’ohitu. Mais les deux dates les plus importantes dans la gestion du problème foncier ont sans doute 1887 et 1970. Le 24 août 1887 tout d’abord, un décret rend obligatoire l’enregistrement de toute propriété foncière, faute de quoi la terre est attribuée à la colonie. Chaque propriétaire doit prouver qu’il est légitime, par sa généalogie ou son occupation des lieux, et reçoit en échange un Tomite, un titre de propriété qui a une valeur juridique aujourd’hui encore ’’Revendication foncière – mode d’emploi’’. L’ensemble des propriétaires auront alors jusqu’en 1932 pour se faire connaître et surtout se faire enregistrer ; ce fameux décret de 1887 est la clef de voûte de tout le système juridique bâti pour les affaires foncières. Car il formalise plus qu’un bouleversement, une véritable révolution dans la société Polynésienne, qui passe ainsi de la propriété familiale à la propriété privée, les terres appartenant non plus à un clan mais à un individu.
En 1970 enfin, une loi du 9 juillet applique à la Polynésie le statut civil de droit commun, avec toutes les règles en matière de succession, mais aussi de mariage, de filiation, etc…..Il n’y aura par la suite que peu de modifications à ce système juridique mis en place pas à pas, en un siècle et demi. Les différents statuts d’autonomie ont bien prévu la création de tribunaux fonciers, mais ils restent à imaginer dans leur fonctionnement. La Commission de Conciliation a été mis en place, et se réunit environ une fois par mois. Chaque plaignant qui veut porter un litige foncier au tribunal doit obligatoirement passer par cette Commission, qui essaye de trouver un arrangement à l’amiable entre les différentes parties. « Nous obtenons entre 25 et 30% de conciliation sur l’ensemble des affaires qui nous sont soumises » a précisé jeudi soir le Président de cette Commission, le juge CALINAUD. « Mais ces conciliations doivent ensuite être validées par le tribunal, sur requête de l’une des parties, ce qui est parfois un frein dans la procédure.»
En attendant d’autres réformes qui pourraient améliorer la situation actuelle des affaires foncières, les juges doivent arbitrer entre les familles déchirées, quelques fois victimes d’erreurs d’appréciations, de spoliations passées, ou d’ambitions démesurées. Car, il n’y a aucun doute à ce sujet, la Polynésie n’est plus aux temps anciens. Le rôle des matahiapo n’est plus le même face à des familles désormais éclatées ; la pression démographique sur le peu de terres habitables, l’appât du gain face à des propriétés devenues valeurs marchandes, mais aussi l’éparpillement des familles en plusieurs lits et sur plusieurs archipels font de ces affaires de terres l’un des casse têtes de la Polynésie d’aujourd’hui.
Yves FORTUNET